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LA PALOMBIÈRE

Règlement intérieur

    Art 1 : Tout invité est soumis à l'autorité du chef de cabane.
    Art 2 : Tout invité devra rester à l'intérieur de la cabane et à l'abri des couloirs pendant toute la durée de la chasse, sauf ordre contraire du chef de cabane.
    Art 3 : Le chef de cabane a seul le droit de tirer les ficelles des appeaux. En son absence momentanée (ex : sieste) il délèguera son pouvoir à un tiers.
    Art 4 : Dès son arrivée tout chasseur devra déposer son fusil et sa housse à l'endroit désigné par le chef de cabane.
    Art 5 : Toutes les personnes portant un fusil devront obligatoirement être en possession d'un permis de chasser dûment timbré.
    Art 6 : Tout chasseur tirant un coup de fusil avant le signal sera sanctionné d'une amende d'une entrecôte.
    Art 7 : Tout chasseur tirant un coup de fusil avec son cran d'arrêt sera passible d'une amende de 1,5 €.
    Art 8 : Tout tir de palombe manqué sera passible d'une amende de 1,5 €.
    Art 9 : Tout chasseur tuant un appeau sera passible d'une amende de 15,25 €.
    Art 10 : Tout chasseur étant cuisinier émérite sera le bienvenu, les autres devront se plier aux corvées de nettoyage et de vaisselle.
    Art 11 : Toute personne non attendue sera la bienvenue si elle est porteuse d'une bouteille de jaune.
    Art 12 : Les invités venant plus de trois jours consécutifs se devront d'arriver avec une bouteille de jaune, une bouteille de whisky, ainsi que d'une entrecôte et de deux bouteilles des meilleurs crus.
    Art 13 : Tout invité qui par ses ronflements fera s'envoler des palombes posées sera passible d'une amende de 1,5 €.
    Art 14 : Tout pet sonore et nauséabond troublant le silence de la cabane sera sanctionné d'une amende de 1,5 €.
    Art 15 : Tout invité arrivant avec le journal du jour sera félicité pour sa bonne initiative.
    Art 16 : Les invités courtois et silencieux seront appréciés et réinvités.
    Art 17 : Les propriétaires de vignobles pourront éventuellement apporter des sarments pour les grillades.


Une journée à la chasse.

La chasse à la palombe est une passion, ou une façon de vivre, ou les deux...
Ca se passe pendant les plus beaux mois de l'année, en octobre et novembre, quand les chênes prennent toutes les couleurs du feu, quand les cèpes poussent sous la mousse. Il faut partir le matin, avant que le jour ne se lève. Quand on arrive à la cabane il faut allumer le poêle parce qu'il fait froid, puis on va voir les pigeons, et on les monte un par un sur les pins, grâce aux mécaniques. On revient à la cabane, où il fait maintenant un peu plus chaud. On vide le coffre de la voiture : panier repas, appareil photo, carnet de notes, stylo. On grimpe au sémeredey, on ouvre, et là on attend l'aurore aux doigts roses, ou orangés, parfois.
La forêt d'éveille, les écureuils, les geais, le claquement caractéristique des ailes de palombes, elles sont là !

Le chef de cabane tire consciencieusement sur les ficelles des appeaux, mais les palombes ne regardent pas, elles filent vers le sud. On fait chauffer le café, on écoute la radio tout doucement. On surveille de loin le gros vol qui plane au-dessus des cultures de maïs. Les premiers invités apportent le journal, c'est une bonne idée. On marche un peu dans les couloirs, on surveille la parcelle de pins d'à coté. L'an prochain il y aura une coupe rase, qu'est-ce que ça va donner ?

Vers midi passe le maire, déjà l'heure de l'apéro ? C'est calme aujourd'hui, pas de coup de fusil, ni devant, ni derrière… Il fait chaud maintenant, tout déréglé ce temps. On chasse en tee-shirt et tennis, les palombes ne passent plus les Pyrénées mais font demi-tour et reviennent ici. Le maïs et les glands poussent en abondance, pourquoi iraient-elles ailleurs ? Ah, ça y est, le chef de cabane vient de poser un vol important, on interrompt le repas, surtout pas de bruit, pas un cliquetis de fourchette !
Il se dirige vers le sol de devant avec la ferme intention de les jouer au filet. Il chante. Si elles répondent ce n'est pas très bon. Pour le moment elles regardent partout, pas un mouvement surtout, bien que nous soyons à l'abri des couloirs. Le chasseur saisit l'appeau de cabane, une palombe casquée liée à une raquette. Il la fait descendre brusquement plusieurs fois de suite, afin d'imiter le bruit des oiseaux se posant au sol. D'un geste il me fait signe de lâcher les piocs. Ce sont des palombes captives dans une caisse, qui passent dans un couloir grillagé. Du haut de leurs pins, les palombes libres les voient. Tout à coup une s'élance, se pose, puis remonte, puis une autre, qui reste sur le sol à picorer le maïs, et une autre encore…
Le chef de cabane les compte, l'œil glissé à travers la brande. « A 10 on ferme », on dit ça en début de chasse, puis parfois « à 30 on ferme », ou beaucoup plus, si la chance est avec nous. Ou rien, parfois elles repartent, pour un chevreuil qui fait craquer une branche, pour un autour qui passe trop prés, pour un avion, pour tant de choses, qui font qu'on en manque autant qu'on en attrape…
Le chef de cabane saisit la tirasse et la tire violemment vers lui. Le piège s'est refermé ! Parfois il n'y a qu'un coté qui ferme, toujours celui où il y avait le plus d'oiseaux. Au bruit, les autres palombes sont parties.

Nous sortons enfin à l'extérieur. Le chasseur passe sous le filet pour retirer délicatement les palombes et les mettre dans un sac. Les plus jolies serviront d'appelant, celles qui ont les plumes abîmées seront tuées pour être mangées. L'alerte passée nous revenons vers notre repas.
Froid bien sûr. Une pâtissière émérite a confectionné un bon dessert, hum. Petit armagnac ? avec modération bien sûr, vous connaissez Maïté, quelle publicité pour les producteurs. Et une larme par-ci, et hop, un demi-litre ! L'après-midi le chef de cabane fait la sieste dans son relax.
Les invités aussi, banquette auto, lit réformé, tout est recyclé à la palombière. Seul au poste de guet, je somnole presque moi aussi, douceur du climat, bon repas… Ho, en voilà 3 ! J'actionne les appeaux, les palombes passent au-dessus de ma tête, en voilà une qui tourne, surtout ne pas la perdre des yeux, là, non là, ça y est elle est posée. Je regarde bien le pin, le plus gros, avec la branche qui bifurque sur le haut. Je descends sans bruit, avec des mouvements très doux. Le chasseur s'éveille, je lui fais signe qu'il n'y en à qu'une, puis je lui explique sur quel pin elle est posée. Dans le couloir il prend son fusil, deux coups secs, il l'a chargé.
Je surveille l'oiseau des yeux en me bouchant les oreilles. J'ai horreur des coups de fusils. Quand il retentit ça me surprends presque toujours, et pourtant à ce moment là, il faut monter le plus vite possible au guet pour voir où le gibier va tomber. Enfin, quand il tombe…

Puis le chasseur sort d'un couloir, et là il va ramasser sa proie. Il revient à la cabane en commentant : « elle est pleine de maïs, celle-la, elle n'avait plus faim ». Ah, un coup de sifflet, une autre visite : le garde-chasse. Il connaît tout le monde, n'a donc pas besoin de demander les permis de chasse. Il prend un café. Il a repéré pas mal de cerfs, c'est la période du brame, il convient d'être prudent, ils peuvent attaquer l'homme à cette période. Parfois le soir on les entend, se battre ou bramer. Ca hérisse le poil, pas étonnant que ça fasse de l'effet aux biches.

Le garde repart, les invités aussi, plutôt ravis de cette belle journée dans la forêt. Le soir il faut redescendre les appeaux, les mettre dans la volière, leur donner de l'eau et du maïs. Puis on ferme la cabane, et on rentre à la nuit. Sur la route on croise les chevreuils qui se lèvent, ou on ramasse des catalans (lactaires délicieux) sur le bas-coté à la lueur des phares. Les retraités ou les rentiers font ça pendant 2 mois, de la St Michel au 22 novembre, date à partir de laquelle on ne peut plus chasser au filet, mais uniquement au fusil. Ceux qui travaillent prennent leurs trois semaines de congés en octobre, ce qui paralyse légèrement la vie des villages, les plus malchanceux se contentent des week-ends. Quant aux femmes, soit elles sont plus mordues que leurs maris, soit elles les remplacent au travail (à la ferme ou dans les commerces), soit elles les accompagnent, pour le meilleur ou pour le pire…

Et comme dirait ma mère :« deux mois de cabane par an, ça suffit ».

Isabelle

Le chasseur de palombes.

Article de Marianne Payot, paru dans l'Express.

C'est un drôle d'oiseau. Qui, sous des allures robustes, est atteint d'une curieuse maladie, diagnostiquée il y a plus d'un siècle. La palombite, encore appelée le mal bleu, est une affection qui se propage essentiellement de père en fils et qui touche particulièrement le sud-ouest de la France -on y dénombre plus de 110000 cas.

Pourtant, c'est dans le Nord qu'on est le plus inquiet. Jusqu'à Bruxelles, où les Diafoirus de l'Europe ont tenté de l'éradiquer. Las ! Aucune thérapie ne saurait stopper le virus. Dans les Landes, le Gers, les Pyrénées-Atlantiques, en Gironde ou encore dans le Lot-et-Garonne, on le sait bien, et on évite toute grande manœuvre durant la forte période de fièvre automnale : interdit d'avoir des problèmes de chaudière, de dents, de prêt, ou de testament…

L'artisan, le dentiste, le banquier, le notaire, tous paloumayres, sont partis se concentrer. Les yeux rivés au ciel. Histoire d'en appeler à quelques saints. Comme Saint Michel (fêté le 29 septembre), quand tout commence, Saint Luc, «où se produit le grand truc », et Saint Martin, où c'est la fin ». Un mois et demi de prières ponctuées de menus travaux : hisser, avant l'aube, les appeaux (ou appelants) -pigeons bleus ou palombes qui serviront d'appâts- en haut des pins par un astucieux système de poulies et de fils de fer ; puis préparer les grillades et la charcuterie, s'assurer de la température du vin, constantes essentielles de la cérémonie. Car si le chasseur de palombes aime bayer aux corneilles, seul, la tête pleine d'utopies aviaires, il adore refaire le monde. En bonne compagnie. Tel un gamin qui retrouve ses copains de collège ou de caserne, il va, entre hommes -les plus atteints affirment que c'est inscrit dans le contrat de mariage- déguster quelques bonnes bouteilles, batailler, ricaner, et, s'il est du coté de la Soule ,chanter.

Les palombes roucoulent, qui s'en vont à tire-d'aile vers la péninsule ibérique et le Maghreb. On en a comptabilisé 1,2 million cette année. Un passage moyen. Normal, le pigeon ramier rame de moins en moins, nourri qu'il est pas le maïs landais. Un vent du sud trop fort ? Il délaisse le sol d'Iraty et s'engouffre pas Urrugne ou, pire, survole l'océan.
Quand il n'a pas tout simplement choisi d'hiverner dans notre doux pays. Eh oui ! le volatile se fait versatile, ses mœurs changent. Contrairement à celles du paloumayre, qui, dès le 1° janvier, est à pied d'œuvre.
Tracer les chemins, soigner les pins et les chênes, les élaguer, replanter, débroussailler… Neuf mois de labeur autour de la palombière. Le prix à payer pour quelques agapes. Le juste prix.

Copyright L'Express.

Le vin de la palombe blanche.

Il était une fois, sur les hauteurs de la rive droite de la Gironde, en un lieu que les spécialistes n'ont jamais pu se mettre d'accord pour situer exactement, une pauvre femme qui avait perdu son mari. Cet excellent forgeron avait été tué par la chute d'un frêne qu'il abattait pour faire du bois destiné à emmancher les outils.

Sa veuve, qui se prénommait Servane, resta seule avec cinq enfants entre quatre et treize ans: trois filles et deux garçons. Obligée de vendre la forge, elle dut aller se réfugier chez sa tante Léa qui habitait seule une masure bâtie au sommet d'un coteau. De là, on dominait le fleuve très large et l'autre rive où s'élevaient quelques châteaux nichés au cœur de leurs vignobles.
La maison de Léa était bien exiguë pour tant de monde, mais Servane dit tout de suite:
D'ici un an ou deux nous aurons assez d'argent pour agrandir.
- De l'argent? S'étonna sa tante.
-Mais oui, de l'argent pour payer un maçon et les matériaux.
- Mais où le prendras-tu cet argent?
-Nous allons le gagner.

La vieille femme semblait médusée. Elle fit une curieuse moue qui remonta sa lèvre jusqu'à la pointe de son nez crochu.
-Et comment veux-tu le gagner?
-En cultivant les terres que vous avez sur le coteau.

La vieille hocha la tête. Un sourire triste creusa ses rides et découvrit ses gencives édentées.
- Cultiver, ma pauvre fille, dans un sol pareil, rien ne pousse. J'ai essayé. Tu vois, tout crève.
- Et si nous élevions des lapins?
- Ils crèveront aussi.
- Et des chèvres?
- Ce sera pareil.
- Et des moutons nous aurions au moins la laine et la viande?
- Tu peux toujours essayer si tu veux, ça ne donnera rien de bon.

Servane essaya, mais rien ne lui réussit. Elle était au désespoir. Mettant sa main en visière sur ses yeux, elle scrutait la rive gauche du fleuve par-delà les îles et disait en hochant la tête:
- En face, je ne sais pas ce qu'ils cultivent, mais à voir les châteaux qu'ils construisent et les fêtes qu'ils donnent, m'est avis qu'ils ne doivent pas manquer d'argent.
- Là-bas, mon pauvre petit, je l'ai appris par un passeur, ils cultivent la vigne. Ils font du vin qu'ils vendent à prix d'or.
- Est-ce qu'on ne pourrait pas en faire autant? la vieille haussa les épaules. Là, ça ne pousserait pas. Et puis, où veux-tu trouver des graines ou des plans? Ces gens-là ne t'en donneront jamais. Ils redoutent trop la concurrence qu'on pourrait leur faire.

Or, un jour qu'elle contemplait l'autre rive avec envie, Servane vit que les gens qui s'y trouvaient possédaient des armes à feu et s'en servaient pour tirer les palombes et tous les oiseaux de passage. Elle remarqua aussi une colombe effrayée par la pétarade qui traversait le fleuve et volait dans sa direction. L'oiseau, qui voulait sans doute faire son nid, tenait dans son bec une brindille. Sans doute fatiguée, au moment où elle survolait sa terre, la colombe laissa tomber cette brindille aux pieds de Servane.
- C'est triste, dit la femme à sa fillette qui jouait à coté d'elle. J'aurais bien aimé qu'elle fasse son nid ici. Elles regardèrent le bel oiseau blanc qui tourna un moment avant de se poser sur le toit de leur maison.
- Elle le fera peut-être tout de même.
- Oui mais elle n'a plus sa branche.
- Elle en trouvera d'autres. En effet, la colombe s'envola bientôt pour aller se percher sur des buissons qui bordaient le sentier.

Se remettant à jouer, la petite fille prit la brindille et la planta en terre en disant: - Je plante un arbre. Sa mère sourit.
- Si tu veux qu'il pousse, il ne faudra pas oublier de l'arroser. Et la petite mouilla son plant de vigne. Car c'était bien un sarment que l'oiseau venait d'apporter. Un sarment qui poussa très bien, devint un cep, donna du bois qui fit d'autres sarments et du raisin dont les deux femmes tirèrent du vin. Parce qu'elles étaient patientes et travailleuses, elles eurent bientôt une vigne. Parce qu'elles étaient généreuses, quand elles taillaient leur vigne, elles donnaient des sarments à leurs voisins qui firent comme elles. La terre était bonne et bien exposée au soleil que reflétait le fleuve.

Les vignerons apprirent très vite à faire le vin et, en quelques années, ils eurent de quoi creuser des caves et bâtir des châteaux. Et c'est ainsi que les coteaux de Blaye et de Bourg se sont mis à produire du vin. Le vin de la Palombe Blanche, bien connu des vrais amateurs.

Bernard Clavel
« contes et légendes du bordelais »
éditions Librio.

 

 

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